Dire la mer

« Dire la mer. Dire la mer. Dire la mer. Pour que tout ne soit pas perdu, de ce qu’il y avait dans le geste de ce vieil homme, et parce qu’un petit bout de cette magie là se promène peut-être encore à travers le temps, et quelque chose pourrait le retrouver, l’arrêter avant qu’il ne disparaisse à jamais. Dire la mer. Parce que c’est tout ce qu’il nous reste. Parce que devant elle, nous sans croix ni vieil homme ni magie, il nous faut bien avoir une arme, quelque chose pour ne pas mourir dans le silence et c’est tout.
-Dire la mer ?
-Oui.
-Et tu es resté là-dedans tout ce temps pour dire la mer ?
-Oui.
-Mais à qui ?
-Peu importe à qui. L’important, c’est d’essayer de la dire. Il y aura bien quelqu’un qui écoute. »

Alessandro Baricco « Océan mer »

Depuis longtemps….dire ma famille . Comme un écrivain d’images.
Mais alors, comment écrire un roman d’images ?
Comment respecter chacun sans être maladroit, blessant, impudique ?
Où sont les limites de l’intime ?
Un artiste est un voyeur et un voyant. Un artiste est là pour donner à voir le visible.
Le visible étant entre les choses, entre les mots, entre les images, c’est ainsi que j’ai abordé ce roman.
Il se construit page après page, non selon un ordre chronologique, mais tel qu’il doit être pour moi avec ses blessures et ses joies . Dans ma logique du temps . Dans la logique de mon temps qui avance.
L’accident de voiture d’abord. Les jumeaux. Mon père et son frère. Ensuite l’amour. Toujours. Ma mère. Mon père. Et puis l’enfance. Mon enfance. Mes soeurs. Mon double. La mort du père. La maladie. Mes pas dans leurs vies. Un roman. Et puis un jour la mort de la mère . L’amour encore.

Pour affirmer l’intime et l’espace du spectateur, un vide est installé entre deux images. Le chiffre 2 suffit pour que tout se bouscule : Ce qu’on voit. Ce que l’on croit voir.
Pour perturber davantage le sens de lecture, l’éclairage joue un rôle déterminant. Une ombre portée de l’image du premier plan se projette sur l’image du fond et vient troubler l’assurance d’une vérité : Celle d’une image fixe et rassurante. Parce que l’immobilité peut rassurer.

Mais alors, le visible est donc multiple ? Multiple et mouvant.

C’est dans toutes ces contradictions que le monde avance.

« Car notre durée n’est pas un instant qui remplace un instant: il n’y aurait alors jamais que du présent, pas de prolongement du passé dans l’actuel, pas d’évolution, pas de durée concrète. La durée est le progrès continu du passé qui ronge l’avenir et qui gonfle en avançant. Du moment que le passé s’accroît sans cesse, indéfiniment aussi il se conserve. » 

Bergson